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Écrire entre le travail et le panier de linge sale
Dans la dernière édition, vous avez voté en majorité pour le thème « trouver le temps d’écrire ». Merci aux 27 personnes qui m’ont donné leur avis ! Cela m’aide à écrire sur des sujets qui vous intéressent tout en m’évitant de m’arracher les cheveux sur le choix d’une thématique. Je vais donc adopter cette nouvelle habitude !
Ah, cette épineuse question du temps… J’ai bien peur de vous décevoir dès le début, mais à moins d’être millionnaire, auteur·rice à succès ou retraité·e (et encore, ma grand-mère me semble parfois plus active que moi), trouver le temps d’écrire dans nos vies surchargées est un vrai problème. Alors, comment font celles et ceux qui le trouvent, ce temps d’écrire, entre le travail, le panier de linge sale et souvent, les enfants ?
En menant ma petite enquête j’ai découvert que la durée d’écriture d’un livre est aussi variable que la météo :
Maud Ventura a mis 4 ans à écrire Mon Mari.
Amélie Nothomb écrit 4 romans par an et en publie 1 (à ce stade, je pense qu’il y a Amélie Nothomb d’un côté, et nous autres mortel·le·s de l’autre).
Jean-Paul Dubois (prix Goncourt 2019) écrit ses livres en 31 jours, pas un de plus, pas un de moins.
Une chose est sûre : la question du temps d’écrire est intimement liée aux conditions matérielles dont dispose l’écrivain·e.
L’autrice Françoise Hary l’explique très bien :
« Derrière ce mot d’écrivain – et tant pis si ce que je veux dire semble un peu évident – se cache une personne qui doit pouvoir élever une famille, payer son loyer et sa nourriture, se chauffer, et peut-être même – mais c’est un luxe ! et seuls le peuvent celles et ceux qui vendent un certain nombre d’exemplaires – avoir les moyens de louer une petite pièce pour écrire, un lieu de travail comme pour n’importe quel autre métier. Ou, au moins, avoir un coin avec un bureau pour travailler.
Et du temps.
Et du silence. »
De l’argent, un bureau, du silence et du temps : voici les 4 ingrédients nécessaires à l’écriture.
Écrire : un luxe ?
Le temps est une ressource rare pour la majorité des travailleur·euse·s. Pour avoir fait les 35 h, je sais à quel point il est difficile de trouver le temps ET l’énergie d’écrire.
Ce dont nous avons besoin pour écrire, c’est du temps libre : « le temps qui n’est consacré ni aux besoins physiologiques ni au travail ni aux tâches domestiques ni au transport » d’après la définition de l’INSEE. En moyenne, voici comment se répartissent les heures d’une journée pour une personne active :
8h de sommeil.
8h de travail.
3h de tâches du quotidien.
5h de temps libre. Là-dedans il faut inclure la vie sociale, la vie de famille et les activités.
Tout cumulé, où trouver le temps d’écrire ? D’après Françoise Henry, « De toute façon, c’est très souvent du temps volé, arraché. Car il est très difficile, dans la vie quotidienne et d’autant plus si on a une famille, de défendre ce temps qui semble, en fait, n’appartenir à personne et surtout pas à soi. Toutes les raisons sembleront toujours les meilleures pour ne pas écrire. »
Paradoxalement, nous passons en moyenne 60% de notre temps libre derrière des écrans d’après Le Figaro, soit plus de 3h par jour. Cela signifie-t-il que nous avons du temps libre, mais que nous le diluons derrière un smartphone ?
Autre paradoxe : nous n’écrivons pas forcément davantage quand nous avons tout notre temps, par exemple en vacances (qui ne sont d’ailleurs pas toujours de tout repos, surtout pour les femmes : 70% d’entre elles se sentent fatiguées en rentrant de congés contre 57% des hommes).
Bref, que ce soit dans le quotidien ou pendant les congés, nous sommes débordé·e·s. Et beaucoup de personnes remettent l’écriture à plus tard dans l’attente de le trouver enfin, ce fameux temps d’écrire.
Écrire dans les interstices du quotidien
Quand j’étais en CDI, un sentiment étrange m’est apparu : bizarrement, cette situation augmentait mon désir d’écrire alors que j’étais crevée. J’avais moins de temps libre qu’en freelance, donc il fallait absolument que je puisse écrire, car c’était TRÈS important à mes yeux. Je ne pouvais pas accepter de sacrifier l’écriture pour un travail.
J’écrivais le soir avant de dormir pendant 15 minutes et je participais à des ateliers d’écriture pour me pousser à continuer. Il m’arrivait aussi de prendre des notes sur mon téléphone dans les transports en commun. Bref, je me débrouillais avec les moyens du bord, mais j’écrivais, même peu. Pourquoi ? Parce que l’envie d’écrire dépassait la contrainte du manque de temps.
Est-ce cette impulsion profonde qui pousse la majorité des écrivain·e·s à écrire malgré le manque de temps ? Car oui, celles et ceux qui écrivent et publient des livres sont des gens comme vous et moi : une écrasante majorité travaille à côté, même après avoir publié plusieurs ouvrages.
En France, seulement 5 % des écrivain·e·s vivent de leur plume d’après la SGDL. Autre chiffre alarmant : un écrivain gagne 6 à 12% du prix de vente du livre. Donc à moins de remporter le Goncourt ou de publier un best-seller (rarissime), vivre de son écriture est très difficile.
Pourtant, écrire est un métier :
« On ne s’interroge pas pour savoir si celui qui fait profession de boulanger ou celui qui est professeur ou ingénieur gagne sa vie avec ce métier. Cela semble évident – quoique parfois, et de plus en plus, difficile. Mais un écrivain… ou un artiste… Et pourtant que ferions-nous sans les livres ? »
Par ailleurs, « on n’écrit pas forcément un meilleur roman dans un grand bureau uniquement consacré à ça – luxe suprême– que sur le coin de la table de la cuisine au milieu de l’agitation d’une famille. »
Peut-être que le secret est là : écrire dans les interstices du quotidien — se lever plus tôt, prendre des notes dans le métro, écrire sur la table de la cuisine. Tout ça, les écrivain·e·s parviennent à le faire parce que le feu de l’écriture les anime.
Écrire, une perte de temps ?
Autre problématique, et pas des moindres : « le jaillissement de l’écriture ne s’organise pas toujours ».
Parfois (souvent), j’ai beau avoir une heure devant moi, je me retrouve devant ma page Word, mais aucun mot ne vient… L’écriture échappe à mon contrôle, elle survient quand je m’y attends le moins : sous la douche, en marchant, dans le bus.
En plus de ça, on peut passer des années à écrire un livre sans aucune garantie qu’il sera accepté par un·e éditeur·rice : est-ce du temps gâché ?
Voici l’analyse qu’en fait l’écrivaine Pierrette Fleutiaux :
« Pendant le temps d’écriture, l’auteur ne peut s’appuyer que sur une nécessité intérieure, sur sa propre foi en ce travail obscur. Une fois publié, le livre peut – dans le meilleur des cas – paraître indispensable. Mais dans la plupart des cas, il faudra de nombreuses années et d’autres livres à la suite pour que le travail de l’auteur trouve sa récompense. Longues heures de labeur solitaire, des centaines d’heures, volées au repos de la nuit, à la famille, aux plaisirs ordinaires de la vie, ces heures s’ajoutant souvent à celles d’un travail plus rémunérateur, fatigues cumulées, ressentiment des proches. Ici, une mention spéciale pour les écrivaines, qui n’ont pas comme bien des hommes écrivains une femme prête à se dévouer à leur œuvre. Tout ce travail sans la certitude précise d’un aboutissement. Et pourtant, la jouissance de l’écriture, la conviction intérieure, l’obstination envers et contre tout. Impossibles à partager. J’ai tenté, il y a longtemps, de mettre en regard toutes ces heures avec ce que m’avaient rapporté financièrement mes premiers livres publiés. Calcul impossible, j’arrivais à beaucoup moins d’un centime de l’heure. »
Ces mots démystifient la figure de l’écrivain·e et rappellent en quoi consiste l’écriture d’un livre : de la joie, une foi immense et… beaucoup de travail.
La régularité : la clé du succès ?
Dans l’introduction à son ouvrage Tics et tocs des grands génies, Mason Currey résume sa démarche ainsi :
« Comment faire un vrai travail créatif tout en gagnant sa vie ? Vaut-il mieux s’y consacrer pleinement ou lui réserver une petite partie de la journée ? Et quand le temps semble nous manquer pour tout ce qu’on espère achever, doit-on renoncer à certaines choses (sommeil, revenu, ménage) ? [...] Je ne prétends pas répondre à ces questions dans les pages suivantes – quelques-unes sont peut-être insolubles, ou peuvent juste être résolues individuellement, via des compromis imparfaits [...] J’ai tenté d’illustrer les diverses manières dont une poignée de génies reconnus s’est confrontée à peu près aux mêmes défis. Je voulais montrer comment de fortes visions créatrices se traduisent par de petits progrès quotidiens ; comment les habitudes de travail influent sur l’œuvre elle-même, et réciproquement. »
2 choses m’interpellent dans ce paragraphe :
D’abord, la notion de « compromis imparfaits » : peut-être que pour écrire, il faut grignoter un peu de temps par-ci par-là. L’écriture se glisse parmi les contraintes du quotidien. Ce ne sera probablement jamais le moment parfait : l’accepter est un premier pas.
L’idée de « petits progrès quotidiens » : ça me rassure toujours d’imaginer l’écriture d’un livre non pas comme un pavé de 150 pages ou plus, mais comme plein de petites parcelles. 15 minutes par jour, une page par jour, ou 500 mots par jour : échelonner l’écriture d’un livre aide à le construire petit à petit. Et ça, il me semble que c’est accessible à beaucoup d’entre nous !
Reste à savoir comment tenir sur la durée…
Le livre de Mason Currey décortique justement les marottes des grands artistes :
« La routine évoque la banalité, voire une absence de pensée. Suivre une routine, c’est se mettre en pilote automatique. Mais un train-train quotidien est aussi un choix, ou toute une série de choix. Entre de bonnes mains, cela peut former un mécanisme finement calibré qui aide à tirer le meilleur parti d’une gamme de ressources limitées : le temps (la plus précieuse de toutes), la volonté, l’autodiscipline et l’optimisme. »
C’est ainsi que :
Nathalie Sarraute se rendait tous les matins, même le dimanche, au café Le Marceau quasiment jusqu’à son décès à 99 ans. D’après la BNF, « Elle s’asseyait toujours à la même table et se faisait servir une tasse de café et un pot d’eau chaude. Elle se munissait de feuilles volantes, de ses cahiers de brouillon et de deux stylos feutres, au cas où l’un d’eux viendrait à lui faire défaut. »
Jack London s’imposait d’écrire 1 000 mots par jour.
Cécile Coulon possède 2 rituels : écrire et courir quotidiennement.
Je pense que les habitudes facilitent l’écriture car elles permettent d’éviter de réfléchir pour mieux passer à l’action.
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Mes lectures d’octobre :
J’ai terminé Intermezzo de Sally Rooney : le quatrième roman de cette autrice ne m’a pas déçue, j’ai retrouvé avec plaisir son style d’écriture ultra réaliste et intime.
Mes coups de cœur culturels d’octobre :
Cinéma : Les Graines du figuier sauvage – le film dure 3h, mais je ne me suis pas ennuyée une seule seconde. Magnifiquement interprétée, intense et surprenante, cette œuvre plante une « graine » d’espoir dans un Iran ravagé par un régime autoritaire.
Émissions : La Grande Librairie du 9 octobre sur le thème de la culpabilité, avec notamment Mona Chollet, Louise Chennevière et Shane Haddad. Si vous l’avez ratée, elle est disponible en replay.
À bientôt dans la prochaine édition,
Claire.
Merci, tu fais parfaitement le tour de la question je trouve que ça aide à y voir clair. Comme pour tout, ce que l’on fait de son temps est une question de priorité et de feu intérieur (sauf quand tout cela est asphyxié par un écran hypnotique 🫨).
Super cette newsletter, elle tombe à point nommé. Trouver le temps d'écrire est un vaste sujet, il résulte sans doute d'une volonté et d'une envie d'écrire. Et de saisir comme tu dis les interstices du quotidien. Prenant le train pour me rendre au travail, j'essaie de profiter du trajet pour écrire sur ma tablette ou mon téléphone. En tout cas personne ne pourra ne nous donner le temps, c'est à nous de le prendre.