Écrire à partir d'une forme
#5 Ou comment remporter un concours de haïkus m'a inspiré cette édition
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J’ai repris mon activité de rédactrice web SEO freelance en septembre après avoir exercé ce métier en agence de communication. J’accompagne les entreprises qui ont leur mot à dire pour les rendre visibles et inimitables.
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Tout a commencé par un concours de haïkus
En août, j’ai remporté un concours de haïkus organisé par les éditions Cheyne en partenariat avec la marque de parfums Floraïku à l’occasion du festival Lectures sous l’arbre. J’ai eu la joie de recevoir un ouvrage de la maison d’édition, un parfum incroyable et des cartes postales imprimées avec mon texte.
Pour rappel, le haïku est une forme poétique japonaise pratiquée depuis le XVIe siècle. Composé de 3 vers de 5, 7 et 5 syllabes, il capte en peu de mots un instant fugace :
« Il est en quelque sorte une peinture de “l’ici et maintenant”, de l’ordinaire saisi avec une extrême simplicité. » Association Francophone de Haïku
Ce concours m’a rappelé une chose importante : écrire à partir d’une contrainte formelle oblige à sortir de ses habitudes pour trouver le mot juste. Inventer un haïku m’a contrainte à choisir les termes parfaits pour respecter le nombre de syllabes et donner un maximum de force au texte.
Dans une masterclass, Laura Vazquez évoque les 3 axes importants pour écrire un livre : la voix, le thème et la forme.
Dans cette édition, j’explore l’importance de la forme dans le processus d’écriture.
PS : vous découvrirez mon haïku gagnant à la fin de cette newsletter
La contrainte comme source de créativité
La contrainte est une source de créativité et les écrivains l’ont compris depuis bien longtemps.
Un exemple est celui de l’OuLiPo (Ouvroir de littérature potentielle), un groupe fondé dans les années 1960. Raymond Queneau a défini ce projet ainsi :
« Nous appelons littérature potentielle la recherche de formes, de structures nouvelles et qui pourront être utilisées par les écrivains de la façon qui leur plaira ».
Le site de l’OuLiPo évoque aussi le rôle paradoxal de la contrainte dans l’écriture :
« Au coeur de la démarche oulipienne s’est donc très tôt installée la notion de contrainte et le paradoxe dont elle est porteuse : loin de bloquer l’imagination, ses exigences arbitraires l’éveillent, la stimulent, lui permettant d’ignorer toutes les autres contraintes qui, ne relevant pas du langage, échappent plus aisément au contrôle. »
En se concentrant sur les contraintes linguistiques, l’écrivain se libèrerait donc de ses autres blocages (bye bye syndrome de la page blanche), car toute son attention est dirigée vers le défi créatif.
L’un des livres les plus célèbres créé par un oulipien est La Disparition de George Pérec, entièrement écrit sans la lettre « e ».
Prendre appui sur des formes pour l’écriture au long cours
Écrire un texte est une chose, écrire un livre entier en est une autre.
L’écriture longue est un travail exigeant qui repose notamment sur la capacité à maintenir une cohérence formelle.
La forme offre un fil conducteur : elle est un socle qui guide l’écriture. Une fois qu’on a trouvé cette forme, ce cadre, on y réfléchit moins et on peut entrer en profondeur dans le texte.
Certaines formes littéraires sont très connues et usitées.
La poésie classique regorge de formes fixes comme le sonnet, la fable ou le blason.
La plupart des romans possèdent une forme similaire : un simple découpage en chapitres. Mais d’autres adoptent des formes plus originales, dont voici quelques exemples :
La lettre (un classique).
Le journal (un classique aussi).
Le roman en vers, bien que rare, devient de plus en plus à la mode. Mon préféré provient de la littérature jeunesse : Songe à la douceur de Clémentine Beauvais (une pépite). Le roman en vers impose une contrainte forte : il pousse à ciseler l’écriture et à épurer le style, voire à adopter des codes complètement nouveaux dont s’amuse Clémentine Beauvais :
Tatiana allume son ordinateur
qui met dix minutes pour démarrer (on est en 2006)
et elle ouvre sa messagerie hotmail et elle a un email de
Skyblog qui lui dit que c’est son anniversaire
(ce n’est pas son anniversaire elle a donné
une fausse date d’anniversaire ;
son vrai anniversaire est dans deux semaines)
et un autre de Dromadaire.fr qui lui hurle
TATIANA92
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RUBRIQUES AMITÉ, AMOUR, CONDOLÉANCESLa forme fragmentaire est un autre exemple de structure assez rare. Maggie Nelson l’adopte notamment dans Bleuets, avec 240 fragments numérotés, autour de la couleur bleue.
Reprendre une forme ou inventer la sienne
Les formes littéraires classiques ont été reprises des milliers de fois et fonctionnent très bien. Elles peuvent donc servir de point de départ pour écrire un livre, ou bien être combinées pour composer des formes hybrides.
Mais certains écrivains inventent aussi leurs propres formes. L’OuLiPo propose ainsi un répertoire entier avec des idées de contraintes d’écriture pour stimuler la créativité.
Voici d’autres exemples de formes nouvelles inventées par des écrivains :
En plus de son roman sans la lettre « e », George Pérec a écrit un livre avec 480 souvenirs de la vie quotidienne. Même si l’inventaire est une forme connue, l’auteur y a ajouté sa propre touche en commençant toutes ses phrases par « je me souviens… » :
« Je me souviens du jour où le Japon capitula.
Je me souviens des scoubidous.
Je me souviens que j'avais commencé une collection de boîtes d'allumettes et de paquets de cigarettes. »
Je pense aussi au livre Pour Britney de Louise Chennevière que j’ai lu dernièrement. L’autrice a une façon bien à elle de construire ses phrases avec une syntaxe déstructurée : c’est un texte avec peu de points, à lire presque d’un seul souffle, qui entremêle habilement 3 histoires (la sienne, celle de Britney Spears et celle de Nelly Arcan) :
« Ce que je vois quand je regarde la photo de cette petite fille à l’aube de ce siècle nouveau, c’est qu’elle ne sait rien encore de ce que le monde va lui apprendre, et qu’être une petite fille est pour elle une joie parce que ça veut dire pouvoir devenir Britney Spears et que Britney Spears pour elle alors, c’est chanter et danser, c’est être dans son corps, sans crainte et sans distance, se sentir très vivante, c’est se tenir, très loin de la peur mais. »
La poésie contemporaine emprunte des formes beaucoup plus libres que la poésie classique. Un recueil est souvent construit sur une seule forme, ou bien il en mêle plusieurs. Certains poètes expérimentent notamment des formes visuelles, comme Louis Adran dans son recueil Nu l’été sous les fleurs publié chez Cheyne. Il utilise de courts blocs en prose avec un petit alinéa pour mettre en lumière les derniers mots du texte :
« Son visage comme une herbe étrange un
dernier sentiment
en sa robe claire terminée d’églises. » (Il faut imaginer un alinéa au début de ce vers, car Substack ne veut pas l’ajouter…)
Dans tous ces exemples, la forme déborde sur la voix et le thème : ces 3 dimensions s’imbriquent pour composer une œuvre.
Bonus : Mes lectures de septembre
J’ai décidé d’adopter une nouvelle habitude : terminer chaque newsletter par un petit tour d’horizon de mes lectures du mois précédent. L’idée est de vous donner de l’inspiration, mais aussi de constituer une sorte de carnet de lecture personnel.
En septembre, j’ai découvert plusieurs nouveautés de la rentrée littéraire dont je vous ai parlé dans l’édition précédente :
Célèbre de Maud Ventura : malgré quelques longueurs, j’ai apprécié cette lecture pleine d’humour noir et de lucidité sur les dérives de la célébrité.
Jessica seule dans une chambre de Joy Majdalani : j’ai retrouvé avec bonheur le style élégant, pétillant et cru de Joy Majdalani que j’avais tant aimé dans Le Goût des garçons. J’ai passé un très bon moment en lisant son deuxième roman, « qui réussit à décrire l’impudeur » d’après France Inter (je n’aurais pas dit mieux).
Pour Britney de Louise Chennevière : comme je vous le disais plus haut, ce livre se lit presque d’une traite tant les phrases sont longues (énormément de virgules, quasiment pas de points). Beaucoup de souffle donc, dans cet ouvrage entre fiction et essai sur l’expérience d’être une femme.
Intermezzo de Sally Rooney (lecture en cours) : je ne l’ai pas terminé, mais je vous en parle déjà car il pourrait bien devenir un coup de cœur. Je ne me lasse absolument pas du style de Sally Rooney dont j’ai adoré les 3 livres précédents. Elle développe avec une grande finesse la psychologie des personnages et je trouve ses dialogues toujours aussi justes. Pour la première fois, elle place des protagonistes masculins sur le devant de la scène : Peter et Yvan, 2 frères qui se sont éloignés et qui se retrouvent après la mort de leur père. Je prends mon temps pour savourer cette lecture dont je vous parlerai plus amplement dans l’édition de novembre.
Avant de terminer, votez pour le prochain sujet d’Écrire :
Et comme promis, mon haïku gagnant au concours des Lectures sous l’arbre :
Pousses de radis
Dévorées par les limaces
Dentelles de fanes
À bientôt dans la prochaine édition,
Claire.
Merci pour ce panorama des formes,
intéressant de se plonger dans les exemples que tu fournis. Et très chouette aussi d’ajouter tes recos. 🙂
Spoiler (ou exclu, façon de voir ahah) : je travaille actuellement sur le thème « lire pour mieux écrire » qui paraîtra chez Pauline Mauroux. Ça m’intéressera aussi de te lire sur le sujet et de poursuivre la discussion 🙂